Les Affaires : Michel Landry, président de L.Tech Solution s’entretient avec Simon Lord journaliste.
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Édition du 07 Octobre 2017
Au Canada comme au Québec, la R-D ne manque pas de panache. Souvent, cependant, lorsque vient le temps de faire connaître leurs innovations et de les vendre, les entreprises trébuchent. Que fait le gouvernement pour encourager la commercialisation des innovations ? Et est-ce assez ?
«C’est le paradoxe canadien. On fait de la bonne recherche fondamentale, mais on est loin dans les classements pour la commercialisation. C’est reconnu depuis 15 ans déjà», dit Laurent Simon, professeur et codirecteur de Mosaic, le pôle créativité et innovation de HEC Montréal.
Actuellement, le Canada figure au 18e rang du Global Innovation Index, un indice qui classe les pays en fonction de leurs capacités et de leur succès en innovation. Le Canada arrive plus loin encore, à la 23e place, dans le sous-indice » Innovation Output « , qui évalue entre autres la création d’actifs intangibles ou de biens et services. Et l’écart se creuse. Il y a cinq ans, en 2012, le Canada se situait au 20e rang.
Plusieurs facteurs expliquent ces difficultés. D’abord, les marchés canadien et québécois sont petits. La proximité et l’accès aux réseaux de distribution peuvent aussi poser problème, estime Laurent Simon, tout comme la culture d’affaires. «Il ne suffit pas de déposer des brevets, dit-il. On doit aussi se demander comment les exploiter.»
Même si les investissements sont sans doute encore insuffisants, M. Simon estime qu’il est moins pertinent qu’avant de montrer du doigt la faiblesse du capital de risque, un facteur longtemps évoqué comme une cause de la faiblesse des entreprises en commercialisation.
Les mentalités et les choix de société sont un autre élément de réponse : au Québec et au Canada, doit-on faire de la recherche dans le but de vendre ou dans celui d’améliorer la connaissance scientifique ?
Laurent Simon explique que la commercialisation requiert d’essayer des choses, de tester le marché, mais que ces expérimentations sont mal soutenues. Neoshop, une boutique du Quartier de l’innovation entièrement consacrée aux prototypes et aux produits nouveaux et innovants, est selon lui un bon exemple d’initiative qui permet de mieux comprendre les besoins du marché.
Investissements
En mai, le gouvernement fédéral a lancé un appel de propositions pour ses «supergrappes» industrielles. Il s’agit d’un programme de 950 millions de dollars dont le but est de rapprocher les universités des entrepreneurs afin de soutenir l’innovation et la commercialisation.
D’ici 2022, Québec ambitionne pour sa part de faire remonter la province dans le top 10 de l’Organisation de coopération et de développement économiques en matière de recherche et d’innovation. Elle se situe actuellement en 12e ou en 14e position pour plusieurs mesures de performance.
Le gouvernement compte y arriver grâce à sa nouvelle Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation (SQRI), également dévoilée en mai dernier. Celle-ci prévoit 585 M $ sur cinq ans. Plus de 132 M $ serviront à développer les compétences et la relève, alors que 267 M $ seront consacrés à stimuler la recherche et l’innovation. L’accélération de la commercialisation des innovations se verra attribuer au total 185 M $.
Dans leur rapport «Analyse économique des marchés publics dans l’industrie de la construction au Québec», publié en 2015, les chercheurs Marcelin Joanis et Stéphanie Boulenger recommandaient à l’État de soutenir l’innovation par les marchés publics.
Ils suggéraient notamment d’étudier la possibilité de recourir davantage aux «concours de beauté», ou vitrines inversées. Essentiellement, il s’agirait là de laisser les organismes publics mentionner leurs besoins et leurs prix dans le cadre d’un projet pour ensuite choisir la solution la meilleure et la plus innovatrice parmi celles proposées par les entreprises.
C’est ce que fait, dans une certaine mesure, la nouvelle stratégie québécoise. Elle prévoit notamment la participation du Centre de services partagés du Québec à de telles vitrines et la création d’une place de marché entre l’acheteur public et les fournisseurs de technologies. Comme les entreprises qui désirent commercialiser une innovation ont toujours le défi de convaincre leur premier acheteur, cette mesure devrait leur donner l’occasion d’établir la crédibilité de leur produit ou service ainsi que de favoriser leur promotion et leurs ventes.
Anne-Marie Leclair, associée et vice-présidente stratégie et innovation à l’agence de publicité lg2, voit dans le plan du Québec une stratégie bien songée, de même que du financement intéressant.
Elle se demande toutefois si cela donnera de grands résultats dans la pratique. «C’est toujours un peu lourd pour les entreprises de participer aux programmes, dit-elle. C’est long de remplir les papiers et ça prend du temps avant d’avoir une réponse, ce qui devient problématique dans une économie où il faut innover, performer et réagir rapidement.»
Assez ou pas ?
Ces mesures gouvernementales seront-elles suffisantes pour rattraper le retard en commercialisation ? «On commence tout juste à mettre en place les mesures pour renverser la tendance, mais je crois que la stratégie du Québec est une recette gagnante», dit Michel Langelier, PDG du Consortium Innovation et ancien directeur général de l’Association pour le développement de la recherche et de l’innovation du Québec.
Michel Landry, président du cabinet expert-conseil en innovation L.Tech Solution, remarque aussi un changement de cap, bien qu’il estime que le virage se fait assez lentement. Il observe que, depuis 10 ans, l’argent public a surtout servi à la R-D et à l’achat de nouveaux équipements. «Au Québec, on est des fabricants, pas des vendeurs, dit-il. Sur le terrain, je remarque qu’une manufacture ayant besoin d’équipements passe devant la file pour obtenir du financement. Mais là, on commence à se rendre compte que ça ne suffit plus. Et on est en retard.»
Il aimerait voir le gouvernement du Québec axer clairement sa stratégie sur la commercialisation de l’innovation. Ce qui fonctionnerait bien, selon lui, serait de soutenir financièrement les entreprises afin de les aider à faire de la recherche ou à élaborer des stratégies pour mieux cibler les marchés potentiels et éventuellement s’internationaliser.
Étant donné la petitesse du marché québécois, Laurent Simon croit lui aussi qu’il faut donner aux dirigeants de PME le réflexe de l’international. «Et ça commence à l’école. Pourquoi ne pas mettre sur pied un programme universitaire de commercialisation internationale, par exemple ?»
En effet, même si les entreprises amassent un tas de connaissances en innovation, elles ne vendront pas tant qu’elles ne sauront pas commercialiser : un consommateur n’achète pas un produit simplement parce qu’il est innovant, ou même parce qu’il est objectivement meilleur, remarque Michel Landry. «Les gens achètent parce qu’on les amène à le faire, dit-il. Ça prend une bonne stratégie, un bon marketing, un bon positionnement. Il faut savoir commercialiser. Regardez McDonald’s. Ses hamburgers sont-ils vraiment les meilleurs ? C’est pourtant cette chaîne qui en vend le plus au monde.»
185 M $
C’est le montant octroyé sur cinq ans à l’accélération de la commercialisation des innovations par la Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation du gouvernement.
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